La résiliation unilatérale d’un contrat au titre de l’article 1226 Code civil : avantages et ambiguïtés
L’article 1226 du Code civil, en vigueur depuis l’ordonnance n°2016-131 du 10 février 2016, prévoit que :
« Le créancier peut, à ses risques et périls, résoudre le contrat par voie de notification. Sauf urgence, il doit préalablement mettre en demeure le débiteur défaillant de satisfaire à son engagement dans un délai raisonnable.
La mise en demeure mentionne expressément qu'à défaut pour le débiteur de satisfaire à son obligation, le créancier sera en droit de résoudre le contrat.
Lorsque l'inexécution persiste, le créancier notifie au débiteur la résolution du contrat et les raisons qui la motivent.
Le débiteur peut à tout moment saisir le juge pour contester la résolution. Le créancier doit alors prouver la gravité de l'inexécution. »
Le rapport au Président de la République relatif à cette ordonnance portant réforme du droit des contrats expose que l’objectif du Législateur avec l’article 1226 est d’offrir « une faculté autonome […] au créancier qui, victime de l’inexécution, aura désormais le choix, en particulier en l’absence de clause résolutoire expresse, entre les deux modes de résolution, judiciaire ou unilatérale. Cette innovation s’inscrit dans une perspective d’efficacité économique du droit. Elle repose en effet sur l’idée que le créancier victime de l’inexécution, au lieu de subir l’attente aléatoire du procès et de supporter les frais inhérents à l’intervention du juge, peut tout de suite ou dans un délai raisonnable, conclure un nouveau contrat avec un tiers ».
Vu les délais souvent très excessifs des procédures judiciaires, cet objectif « d’efficacité économique du droit » est effectivement louable. Toutefois, cette disposition comporte des zones d'ambiguïté qui confèrent aux juges en charge de son interprétation un large pouvoir discrétionnaire dont ils ne semblent pas prêts de le limiter.
Sur la gravité du manquement
L'article 1226 prévoit que l'inexécution doit être suffisamment grave afin de justifier la résolution contractuelle. Cette formulation suscite instantanément des interrogations sur la signification précise de la gravité, le texte demeurant lacunaire à cet égard, et la jurisprudence encore limitée.
L'évolution jurisprudentielle sur cette question a été progressive. À l'origine, la Cour de cassation se référait à la gravité du comportement du débiteur pour justifier la résolution. Cette approche subjectiviste s'appuyait sur la mauvaise foi du débiteur et sa déloyauté. Néanmoins, avec l'arrêt Tocqueville de 1998, la Cour a commencé à porter davantage d'attention à la gravité de l'inexécution contractuelle en elle-même, adoptant une perspective plus objective.
La réforme du droit des obligations a consolidé cette orientation en objectivant la notion de gravité. Désormais, le créancier peut procéder à la résolution si la gravité du manquement est avérée, que ce soit en raison de l'importance de l'obligation violée ou du préjudice considérable subi par le créancier.
Un arrêt de la Cour de cassation de 2016 (Cass. com. 6 déc. 2016, n°15-12.981) offre un éclairage pertinent sur cette question. La Cour y maintient que « la gravité du manquement de l’une des parties peut justifier que l’autre partie mette fin à l’engagement de manière unilatérale à ses risques et périls ».Cette décision récente réitère que l'obligation de se focaliser dorénavant sur la gravité de l'inexécution contractuelle n'exclut pas la possibilité d'évaluer cette gravité en considérant le comportement du débiteur.
Néanmoins, l’élément de faute (la « gravité de l’inexécution ») requiert une appréciation nécessairement subjective, en fonction des faits de chaque dossier, ce qui laisse au magistrat une marge considérable sur l’appréciation de la gravité, présentant ainsi un certain aléa judiciaire. A cet égard, le contrôle du juge est évidemment nécessaire, puisqu’il est la seule parade à des abus.
Sur les conditions de la résolution
L'article 1226 expose de manière explicite les étapes pour parvenir à la résolution d'un contrat. Il est toutefois essentiel de noter que la résolution n'est pas une obligation pour le créancier, mais plutôt une faculté.
Dans un premier temps, le créancier doit constater une inexécution suffisamment préjudiciable de l'obligation contractuelle à ses yeux. Ensuite, il doit adresser une mise en demeure au débiteur, en lui accordant un délai raisonnable pour se conformer à ses obligations. Le Code Civil ne propose pas de définition précise d'un délai raisonnable, laissant cette évaluation à l'appréciation du magistrat.
Dans un arrêt très récent du 18 octobre 2023, la Cour de cassation (Pourvoi n°20-21.579) a jugé qu’il n’était pas nécessaire pour la Cour d’appel de rechercher si une mise en demeure avait été préalablement délivrée quand le comportement du cocontractant était d’une telle gravité qu’il rendait manifestement impossible la pour suite des relations.
Néanmoins, si la gravité n’est pas telle que la poursuite des relations est manifestement impossible, nous considérons que ce délai doit être suffisamment long pour permettre au débiteur, s’il estime que l’inexécution n’est pas suffisamment grave, de se conformer ou de répondre aux accusations et, si nécessaire, de saisir les tribunaux, même en référé.
En revanche, si, après la mise en demeure le débiteur ne se conforme pas ou que le juge (au fond ou en référé), n’a pas été saisi, le créancier a la faculté de résoudre le contrat par notification. Le Code Civil n'impose aucune forme spécifique pour cette notification. La résolution prend effet au moment de la notification, à compter duquel les parties peuvent procéder à des restitutions si nécessaire.
Sur les conséquences de la résolution
Des questions persistent néanmoins :
- Si le Tribunal juge que l’inexécution du débiteur n’était pas suffisamment grave, est-ce que, pour autant, le contrat est effectivement résilié ?
- Si la résiliation est justifiée, mais que son efficacité nécessite une décision autre (par exemple une expulsion suite à la résiliation), le juge peut-il la paralyser ou la rendre inefficace ?
Un point essentiel de l'article 1226 est l'affirmation selon laquelle la résolution s'effectue « aux risques et périls du créancier ». Cette expression signifie selon nous qu’une résiliation au titre de l’article 1226 est en tout état de cause acquise au créancier, qui devra démontrer la gravité de l’inexécution, mais ne pour raque se voir opposer des dommages et intérêts pour rupture abusive du contrat.
Le quatrième alinéa de l’article1226 du Code civil prévoit d’ailleurs que : « Le débiteur peut à tout moment saisir le juge pour contester la résolution. Le créancier doit alors prouver la gravité de l'inexécution. »
Or, cette disposition sous-entend selon nous que la résolution, si elle est contestée, soit déjà effective. Le débiteur ne pouvant alors espérer que des dommages et intérêts sile créancier ne peut prouver la gravité de l’inexécution.
En effet, la portée de cette disposition, ainsi que son objectif d’efficacité économique, serait largement réduite si le contrat n’était pas considéré comme résilié à compter de la notification de résiliation par le créancier. De la même façon quelle serait la portée d’une résiliation justifiée d’un bail si ensuite, le juge refuse d’ordonner l’expulsion du locataire ?
Ainsi, une résiliation au titre de l'article 1226 du Code Civil représente un aléa judiciaire important puisque le magistrat dispose d’un large pouvoir d’appréciation concernant la gravité de l’inexécution, et une interrogation demeure sur le sort d’un contrat résilié dont l’inexécution n’aurait pas été jugée suffisamment grave.
Néanmoins, cet article attribue au créancier le pouvoir unilatéral de résoudre un contrat en cas d'inexécution substantiellement préjudiciable, une disposition bienvenue compte tenu des délais actuels en procédures judiciaires, et la nécessité de concilier le droit contractuel et l’efficacité économique.